mardi 3 janvier 2012

La roue tourne

France 5 le 3 Janvier 2012 : les bios du vignoble.
Recherche d'authenticité, crise de surproduction des années 2000, préoccupations environnementales, le vin sort de la pensée unique, pour le meilleur ou pour le pire?
Une chose est sûre, le goût semble être au coeur des préoccupations des vinificateurs. Et là, deux tendances diamétralement opposées se distinguent. D'un côté, ceux que nous appellerons les authentiques, de l'autre les pragmatiques.
Les premiers sont à la recherche du goût perdu, dans une quête proustienne nostalgique, les autres cherchent à "coller" aux marchés.
Lesquels ont raison? Ceux qui vendent leur vin à des prix rémunérateurs pour assurer la pérennité de leur entreprise. A ce sujet, et en lien avec le wine design, dans aucun reportage sur le vin il n'est fait référence à la dure loi de la rentabilité économique. Pour une minorité, la viticulture est une danseuse non nourricière. Ces propriétaires tirent en effet leurs revenus d'autres activités que la production de vin. Ils peuvent ainsi se permettre de ne pas tenir compte de la rentabilité de leur production, souvent fort bonne d'ailleurs et reconnue par tous les guides et critiques. Mais pour la majorité des producteurs,la rentabilité économique est vitale.
Quant à la poursuite du goût perdu, je crains qu'elle soit un mirage. En effet, de quel goût parle t on? Du goût des vins du début du vingtième siècle, des vins du moyen âge, de l'antiquité?
En tout état de cause, utilisation de levures du commerce ou pas, la viticulture a changé à la fin du 19ème siècle après les ravages du phylloxéra. Pour sauver la viticulture européenne, nos vignes "marchent" depuis plus d'un siècle sur des pieds américains!! Le porte greffe modifie significativement le fonctionnement du greffon (vigne française) qui produit les raisins. On trouve encore quelques rares vignes préphylloxériques, mais pas de quoi abreuver nos compatriotes.
La machine à remonter le temps en terme de vin est donc bloquée à la fin du 19ème siècle. Le siècle qui suit est celui de la chimie. Car non contentes de nous avoir apporté le phylloxéra, les vignes américaines nous ont également apporté mildiou et oïdium, deux champignons dont le développement est synonyme de ruine du vigneron, car ils anéantissent les récoltes.
Alors, les vignerons ont trouvé le sulfate de cuivre et le soufre pour lutter contre ces parasites. Ces produits sont des éléments de la chimie, ce sont des produits chimiques, certes pas de synthèse mais ce sont des produits chimiques. La viticulture biologique utilise ces produits pour une simple raison: on n'a pas encore trouvé aujourd'hui d'autres moyens de lutte avec des produits naturels issus des plantes et suffisament efficaces. On n'a pas inventé l'ampoule électrique en voulant améliorer la bougie, il en sera de même pour atteindre une viticulture respectueuse de l'environnement. Les "bios" ont montré la voie en terme de travail des sols pour éviter l'utilisation des desherbants, fossoyeurs de la vie des sols. Mais pour le reste, les produits utilisés sont ceux du 19ème siècle, et font partie de la paléochimie. Ils ne sont pas sans risques, en particulier le cuivre.
Alors, il n'est pas ici question de jeter la pierre à Paul ou à Jacques, de pointer du doigt les pollueurs, mais de rétablir un peu la vérité souvent déformée par les querelles de chapelle entre les "chimistes", les bios plus ou moins purs, les biodynamistes et les naturalistes idéalistes.
Victor Hugo a écrit : "Dieu a créé l'eau, l'homme a inventé le vin". En effet, le seul vrai produit naturel issu du raisin est le vinaigre. Le vin n'est qu'un état transitoire instable entre le jus de raisin et le vinaigre.
Alors oui, la roue doit tourner, mais attention à ne pas succomber à de fausses promesses. Une montre arrêtée donne la bonne heure deux fois par jour, ce n'est pas en revenant au 19ème siècle que nous offrirons des perspectives réalistes techniquement et surtout économiquement à toute une filière.
Quant au goût, on voit également apparaître des génies de la vente et de la persuasion qui tentent de démontrer que certains défauts organoleptiques sont la véritable expression du goût du vin : c'est un mensonge. Ils profitent de la crédulité de leurs contemporains, mais surtout de leur manque d'éducation au goût pour faire passer des vessies pour des lanternes, comme les apothicaires vendaient leurs potions miracles dans les campagnes crédules. Le mauvais goût est toujours celui des autres, certes, mais prenons garde à ce que l'authenticité ne soit pas le masque de la médiocrité, les réveils pourraient être douloureux, un peu comme la gueule de bois.
Et même si chaque vin doit vous raconter une histoire, prenez garde aux fables trop belles.
La nature n'est pas belle, elle est cruelle. Demandez aux vignerons touchés par l'orage de grêle de début Septembre à Bordeaux ce qu'ils en pensent. Parmi eux, figure "l'heureux" propriétaire du château AUGUSTE à Saint Aubin de Branne. Après 2010 et une sécheresse ayant amputé sa récolte de 20%, rendant plus fragile la situation financière de son exploitation, il a cru tout perdre en 2011, et a craint être obligé de revendre son exploitation, faute de récolte. Heureusement, il n'en sera rien. La promesse sera tenue en 2011 et ses clients retrouveront leur vin préféré. N'en déplaise aux naturalistes, heureusement que la technique nous offre des solutions pour rectifier le tir défectueux de dame nature. Alors oui, pour servir ses clients, nous avons dû avoir recours à quelques intrants, la survie d'une exploitation et de plusieurs familles en dépendait.
Alors oui, monsieur Nicolas Joly est un joli poéte, on ne demande qu'à le croire. Mais j'aimerais connaître sa comptabilité et son compte d'exploitation, savoir si tout cela est viable quand on a des emprunts à rembourser parce qu'on n' a pas hérité de sa propriété mais qu'on l'a achetée. Si oui, c'est une bonne nouvelle pour cette nouvelle année que je vous souhaite riche en goût et en vin.